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Les Délassements de Phlorymon
21 juin 2010

Vol dans le goût d'autrefois


Que préférez-vous:

 la musique ou la charcuterie?

C'est une question, semble-t-il, qui devrait se poser au moment des hors-d'œuvre.

Dans beaucoup de lieux, l'excellent et doux silence a été remplacé par de la mauvaise musique

Erik Satie



«Rejoignez-moi donc, alors, mon cher Phlorymon, du moins si vous appréciez la ferme et l’amour du lard.»

Ainsi n’avais-je d’autre choix que de reconnaître, chez mon ami Fignolet, l’art équivoque des invitations doubles. Il avait par cette proposition, surprenante en ses composantes, pu soudain mêler le sujet d’anciens amusements au projet qu’il souhaitait, par la charcuterie, me voir initier.

Sans nul doute, la réception avait été orchestrée selon une science experte. D’abord, après que mon vieux camarade, eut, pour l’un et pour l’autre, sur la table basse à la nappe cramoisie et pendante, servi un mixte apéritif, nous prîmes, chacun, un canapé de rillettes et nos positions habituelles. Lui, sous l’étrange quadriptyque influencé par le formalisme russe, sereinement étendu sur sa marquise dont les légers tissus écarlates dévoilaient par endroits, une massive structure d’ébène, l’oreiller soutenant le coude, et la main, la nuque. Et moi, en face, assis sur un fauteuil de cuir, les jambes croisées et les avant-bras maintenus par des accotoirs aux reliefs polygonaux dont la géométrie épineuse incrustait mes chairs.

Ensuite, il en était venu, non seulement à me faire écouter l'une de ses musiques favorites, mais encore les insupportables maniérismes de son langage: «Jamais ne serons-nous trop attentif aux étranges aptitudes de certains sons, même des plus communs, sitôt soumis aux adéquates constructions qui méthodiquement les métamorphosent. Reprenez-en donc, alors, mon cher Phlorymon, du moins si vous en appréciez la forme, pour l’amour du lard.»

C’est en ce thème répété, que mon hôte, m’invita à me servir à nouveau, m’indiquant avec la précision d’un chef d’orchestre, le long et large plat de porcelaine rectangulaire aux motifs d’inspiration burenienne, dans lequel étaient soigneusement alignés les quatre amuse-gueules restant et dont les parfums respectifs s'unifiaient en une troublante atmosphère inconnue et curieusement inodore.

Le premier proposait, sur un mantou, une rondelle de boudin noir souligné d’un mince trait de confiture de framboise. Le deuxième, composé d’un Schwartzbrot grillé sur lequel était disposé une fine tranche de jambon si cuit que le rosé de la viande dressait un canevas presque immaculé à une ligne de poivre noir qui prenait son origine dans la pincée de sel parfaitement ajustée au sinistre bord, offrait un reflet en négatif à son voisin de droite dont le pain à la mie si blanche s’ornait d’un carré de brescola extrêmement sec, divisé par la rayure oblique et presque centrale d’un coulis de truffe blanche. Quant au quatrième et ultime, cédant à une feinte simplicité, un pain de mie industriel se parait d’un petit carré de jambon Serrano taillé, de toute évidence dans la partie la plus rubescente de la cuisse, et de lambeaux d’olives très mures, qui devenaient, semble-t-il par une étrange alchimie, du parmesan en copeaux au contact de la chair. L’ensemble, ainsi, formait, sous mon regard, la réplique, à sa façon, de l’œuvre formelle qui présidait à notre rencontre.

De manière subreptice, ou plutôt structurale, mon ami m'avait placé, au moyen de tous mes sens au centre d'une complète abstraction où la forme avait complétement remplacé le fond. J'en étais à de telles vertigineuses impressions, quand mon ami me fît entendre sa dernière pièce pour piano et corde.

«Écoutez cela donc, alors mon cher Phlorymon, du moins si vous appréciez la forme et l'amour de l'art.»

Une nouvelle fois, ainsi n'avais-je d'autre choix que de reconnaître, chez mon ami Fignolet, l'art équivoque des résultats troubles. Il avait par cette proposition, surprenante en sa reprise, pu soudain offrir un thème décisif au projet qu'il souhaitait me voir initier, mais encore, par la disposition savante des éléments, m'inscrire dans les instances de l'abstraction pure.

Avant même de retenir ma surprise, j'avais soudain compris que c'était selon une erreur, en vérité, qu'il eût fallu entendre, à l'origine, pendant le mixte de l'apéritif, le discours de mon ami au sujet de l'une de ses musiques favorites. «Jamais ne serons-nous trop attentifs aux étranges aptitudes de certains tons, même des plus communs, sitôt soumis aux adéquates construction qui méthodiquement les décomposent.»

Ainsi, plus qu'attentif à l'ensemble des formes ainsi décomposées, les recettes, des lors, de mon minutieux mentor, me parurent lumineuses et semblaient m'interroger directement quant à ce goût des constructions savantes si particulières et contraire aux habitudes actuelles. Manquant de retenir ma détresse face à cette énigme, et voulant infliger à mon tour, avec ironie, à mon talentueux ami, le trouble dans lequel il m'avait inscrit, je m'enquis de savoir ce qui, chez lui, l'avait porté, de manière subreptice, ou plutôt structurale à préférer la musique à la charcuterie.

«La ferme!» hurla-t-il, apparemment agacé de ne parvenir, subrepticement, ou plutôt totalement, à faire de moi l'auditeur docile de sa dernière récréation.

«Abordez donc cela, plutôt, mon cher Phlorymon, du moins si vous y parvenez: la forme et la mort de l'art.»


 

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